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18 décembre 2011

Rapport sur la mise en place des méthodes du Barça à la Roma par Luis Enrique

Une des nominations d'entraineurs marquantes de cet été est celle de l'ancien de Barcelone B, Luis Enrique, à la Roma.

C'était une vraie surprise. Bien qu'Enrique ait eu de bons résultats avec la réserve du Barça, il n'avait aucune expérience d'entraineur au haut-niveau.Il n'était donc pas vraiment plus qualifié que Vincenzo Montella, qui avait dirigé la Roma la saison dernière après un certain passé dans les équipes de jeunes.

Mais, comme l'explique cet excellent article de James Horncastle, la Roma le voulait pour son "background", pour la culture footballistique d'où il est issu. “La raison du choix d'Enrique est symbolique,” dit Walter Sabatini, Directeur sportif de la Roma. “Enrique représente une idée du football que nous voulons suivre, et qui s'impose aujourd'hui à travers l'Espagne et le Barça… Je voulais quelqu'un d'extérieur au football Italien. Quelqu'un de neuf.”


Cette volonté de choisir les entraineurs de plus en plus souvent pour des raisons philosophiques plutôt que pragmatiques, est un autre impact de Pep Guardiola sur le football. Même en Italie. Comme le dit Franco Ferrari (l'ancien directeur du centre technique national Italien, Coverciano) dans l'excellent "The Italian Job" écrit par Gianluca Vialli et Gabriele Marcotti : “En Italie on ne regarde que le résultat, on se moque de la façon avec laquelle on l'obtient, seul importe le résultat… bien jouer ou construire des bases pour le futur n'entre pas en ligne de compte, il faut juste gagner.”

Cependant, pour en revenir à l'article de Horncastle, Enrique déclare : “Quand la Roma me choisit, elle sait qu'elle choisit un entraineur offensif qui adore l'attaque, qui aime le beau football. L'important est que les fans viennent nous voir jouer, et prennent du plaisir. Mon jeu est très attractif. Nous allons tout le temps attaquer. Je n'envisage pas le football autrement. Nous nous dirigeons vers un changement complet des idées et des identités... je ne suis pas venu ici pour apporter le modèle barcelonais, mais quelque chose qui y est similaire."

C'est une vraie transformation. Immédiatement fleurissent des comparaisons inévitables avec le FC Barcelone. Alors, après 14 rencontres et une place de 10ème en Serie A, comment réussit-il à imposer les méthodes barcelonaises? On a tenté de l'évaluer en se basant sur 10 facteurs clés du jeu catalan.

Possession et milieux techniques


Les signatures de Fernando Gago et Miralem Pjanic ont montré que Enrique voulait de la qualité technique et une distribution du jeu calme et sûre au centre du terrain. Il a eu du mal à aligner souvent souvent le même trip de milieux à cause de blessures (et son propre turnover), et en conséquence il y a un manque de cohésion et d'automatismes qui sont nécessaires dans ces positions. Il a utilisé David Pizarro assez rarement (quand celui-ci était en condition...), ce qui est surprenant étant donné que le Chilien a le profil idéal pour être le Xavi de cette équipe.

Reste que la Roma a une possession moyenne de 58%, la 3ème plus haute de Serie A après le Milan et la Juventus, bien qu'il faille noter que seuls 2 autres clubs ont une moyenne au dessus de 50%, dans un championnat où on ne joue pas particulièrement pour la possession. Cela reste un bon chiffre et Enrique doit être satisfait de la conservation du ballon de son équipe. Note : 8/10

Pénétration

Ce point est moins bien réussit. Alors qu'elle est la 3ème en termes de possession, la Roma ne se retrouve que 8ème au classement des tirs cadrés, avec 4.5 par match. Il semble qu'il y ait trop de responsabilités sur le dos du joueur créatif central dans le 4-3-1-2 utilisé (bien qu'il puisse être décrit comme un 4-3-3 avec un attaquant axial très bas, similaire à celui de Barcelone avec Messi, donc il s'agirait plutôt d'un hybride 4-3-1-2 / 4-3-3 que Santos a souvent utilisé).

Cet homme est en général Pjanic, qui s'est plutôt bien débrouillé, réussissant 6 passes décisives en championnat – seuls les milanais Alberto Aquilani et Antonio Cassano ont fait mieux. La passe dans la vidéo ci-dessous, pour Bojan face à Novara, est un bel exemple de sa créativité. Mais il y a un manque de passes dangereuses venant d'autres joueurs, sauf quand Francesco Totti joue, ce que Enrique ne semble pas trop apprécier. Note : 3/10



Mouvement

Là aussi, on est loin de la perfection. Le match contre la Juventus le week-end dernier a montré comment la Roma pouvait être congestionnée en certains endroits du terrain. Enrique a débuté avec Pjanic surgissant à l'avant depuis le milieu, Erik Lamela venant de la droite vers l'axe et Totti décrochant pour venir dans sa zone habituelle : il en résulte une trop grande concentration de talent offensif dans une seule zone, aucun ne restant en retrait, aucun n'étirant le jeu.

Un aspect fondamental du jeu de Barcelone est la cohésion du mouvement : quand un joueur vient dans l'axe, un autre écart; quand un joueur descend, un autre fait une course vers l'avant. Pour l'instant ceci n'est pas au point à Rome, et quand Enrique a échangé les rôles de Osvaldo et de Lamela contre la Juve cela a semblé plus équilibré – Osvaldo offrait alors des débordements depuis la droite tandis que Lamela venait dans l'axe et laissait Jose Angel dédoubler sur l'aile. Note : 3/10

Pressing

Le nul contre la Juve a montré combien la Roma devait progresser sur ce point. La nature du système d'Enrique, en général avec des attaquants déployés sur les côtés (Pablo Osvaldo, Bojan Krcic) implique qu'il est essentiel de presser très haut pour que ces joueurs puissent s'exprimer dans leur zone favorite.

Au lieu de ça, les latéraux turinois ont poussé ces joueurs jusque dans leur propre camp, et la Roma se retrouvait à travailler trop loin du but. Cela s'est mieux passé dans d'autres matchs, et il est intéressant de noter que le meilleur match de la Roma, contre Lecce, est celui où ils ont presser le plus violemment. Enrique pense peut-être que ses joueurs ne sont pas actuellement capables de presser pendant tous les matchs, mais il faut impérativement le réaliser plus souvent . Note : 5/10



Défenseurs à l'aide balle au pied


En théorie, un grand succès. Simon Kjaer est un des défenseurs actuels les plus doués balle au pied, mais souffre de blessures assez longues, tout comme Nicolas Burdisso. L'utilisation de Gabriel Heinze dans l'axe a été relativement réussie sur ce point, et la volonté d'Enrique d'avoir des de la qualité technique à l'arrière s'est manifestée par l'utilisation de De Rosse en charnière centrale contre la Juve. Note : 8/10

Latéraux offensifs


Jose Angel est impressionnant sur l'aile gauche : il ne ressemble pas vraiment à un défenseur, et colle au style de Dani Alves. Il apporte beaucoup de largeur sur son côté, et permet à l'attaquant gauche de plonger dans l'axe.

Sur la droite, Enrique a utilisé des latéraux offensifs comme Marco Cassetti, Aleandro Rosi et Cicinho, mais aussi des milieux de formation comme Perrotta et Taddei. Aucun n'a semblé à l'aise sur les phases défensives, mais cela apport les dédoublement sur l'aile que Enrique souhaite. Note : 7/10

Le rôle de Busquets


De Rossi a été utilisé ici, très bas au milieu, descendant entre les défenseurs centraux en leur permettant de s'écarter. En général capitaine, il a été probablement le meilleur joueur de la Roma et semble être sa pièce clé.

Une autre note positive est venue avec les débuts face à la Juve de Federico Viviani. C'est un jeune prometteur issue du centre de formation qui semble à l'aise avec la balle même en position basse, et qui a donné des passes calmes et sûres sur les ailes, un Busquets potentiel dans la construction du jeu. Note 8/10

Attaquants excentrés


Sentiment mitigé ici : Osvaldo est satisfaisant mais semble quand même avoir du mal à jouer dans une position latérale : c'est un pur avant-centre. Bojan connait le système mieux que quiconque mais ne s'est pas encore adapté au football italien. Lamela est clairement talentueux mais ne correspond peut-être pas à ce rôle : il vient se mêler au jeu au lieu de faire des appels vers le but, ce qui conduit aux problèmes de pénétration mentionnés plus haut. Fabio Borini a le profil parfait pour ce système, mais il est moins doué.

Osvaldo a marqué 5 fois, Bojan 3 – mais ceci correspond à 50% des buts de l'équipe. Beaucoup de travail doit être réalisé ici, bien que les attaquants gagneraient à ce que le milieu donne de meilleurs ballons. Note : 6/10

Le rôle de Messi


Etant donné qu'il s'agit du meilleur joueur du monde, personne ne peut jouer son rôle avec autant d'efficacité. Dans un sens, Enrique n'a pas essayé de reproduire directement sa position, cependant Totti a joué attaquant axial Lundi, et comme il est un pionnier du poste de faux numéro 9, on pourrait y voir le rôle de Messi.

Mais c'est en général Pjanic qui a joué dans cette position, et il est clairement un 10 et non un faux 9 (bien que pour le Clasico Messi lui même ait joué en 10). Pjanic a fait de bonnes apparitions, mais il a besoin d'être soit plus direct, soit d'avoir plus d'appels des milieux autour de lui. Note : 6/10

Jeunes joueurs

Un facteur clé des succès des blaugranas a été leur utilisation des joueurs formés au club. Clairement, c'est le résultat de décennies de travail et non de quelques mois, et il n'est pas tout à fait juste de porter un jugement sur ça aujourd'hui.

Cela dit, contre la Juve, la Roma jouait avec Greco, Totti, De Rossi et Viviani. 4 joueurs sur 11 formés au club est un très bon chiffre, et il y a aussi Rosi dans l'effectif. L'utilisation de Viviani est la plus prometteuse : elle montre que Enrique donne leur chance à de jeunes joueurs, et pour reprendre les mots de Sabatini, ils sont "non-contaminés", plus malléables pour Enrique qui veut en faire ce qu'il veut, à l'image du travail qu'aime faire Marcelo Bielsa avec les jeunes joueurs, qu'il considère comme plus aptes à apprendre de nouvelles méthodes. Note : 8/10

Conclusion

Le cliché est facile : Rome n'a pas été bâtie en un jour. Le projet d'Enrique est global et relève du long-terme, et bien qu'une 10ème place ne puisse être considerée comme un succès aujourd'hui, le projet se met en place gentiment.

“On devrait arrêter de faire des comparaisons avec Barcelone" affirme le directeur général Franco Baldini. "On essaie de créer une équipe qui joue pour la possession, mais d'autres font la même chose. On fera la comparaison avec Barcelone quand on aura atteint leur qualité.”

Même quand il dissuade les comparaisons avec le Barça, il les voit toujours comme un objectif à atteindre... . Il y a un long chemin à faire, mais la Roma et ses fans ont intérêt à soutenir Enrique.